
(...) ou bien le livre m’excite et je lève tout le temps la tête pour rêver
ou réfléchir à ce qu’il me dit, ou bien il m’ennuie, et je le lâche sans
vergogne ; certes parfois il m’arrive de lire de la façon avide,
gourmande, dont vous parlez ; mais c’est alors hors travail, qui
s’applique ordinairement à des auteurs passés (d’Apulée à Jules Verne) ;
la raison en est simple : pour lire, sinon voluptueusement, du moins
« goulûment », il faut lire hors de toute responsabilité critique ;
dès qu’un livre est contemporain, j’en suis, moi, lecteur, responsable, car il
m’entraîne dans des problèmes de forme ou d’idéologie, au milieu desquels je me
débats ; le plaisir de lecture, heureux, gourmand, auquel vous pensez, est
toujours un plaisir passéiste.
« Roland Barthes contre les idées reçues » (entretien avec Claude
Jannoud, Le Figaro, 27 juillet 1974). Œuvres complètes, IV,
p. 564
De fait, il n'y a pas seulement un rythme propre à chaque lecteur, mais pour
chaque lecteur une multitude de rythmes différents, en fonction des livres et
des moments : le livre que dans un premier temps je dévore (et j'ai du mal
à imaginer le plaisir de lire sans cette immersion première), je vais en
déguster dans un second temps certains passages (que j’ai balisé) de manière
plus lente, profonde, verticale, parfois les recopier ou les scanner (pour les
citer ici ou les garder dans mes tablettes).
C’est la passionnante complexité de
cette expérience qu'est la lecture que j'ai jadis tenté (un peu
maladroitement, trouvé-je aujourd'hui, car empêtrée dans le cadre de cet
exercice de style très spécifique qu'est une thèse) de décrire comme un mélange
intime de « lecture poignante » (émotive, emportée, dévorante,
rapide, horizontale) et de « lecture studieuse » (intellectuelle,
critique, lente, verticale, fragmentaire).