
Gustave Courbet, La toilette de la morte (dit La toilette de la
mariée) (v. 1850-1855)
Sans rapport (sinon d'esprit d'escalier) j'ai envie de citer ce billet
d'humeur de Nelly Kapriélian, qui prolonge de récentes indignations :
C‘est fou comme, récemment, la liberté va bien aux femmes. On se rappelle
des couves et autres articles titrés « Cécilia, une femme libre »
pour parler du choix de Mme Sarkozy de renoncer aux « ors » de
l'Elysée. On voyait Cécilia à longueur de photos faire du shopping avenue
Montaigne, ou déclarer à longueur d'interviews qu'elle avait choisi d'élever
son fils, Pour la presse, c'était donc ça, une femme libre : libre de
faire des confitures et de s'acheter un sac Dior... Une liberté, en somme, pas
trop dérangeante : celle d'une femme qui reprend sa place de femme. Et
puis Carla est arrivée... Et elle aussi est devenue « Carla Bruni, une
femme libre ».
Bref, qu'on rentre ou qu'on sorte du lit de Sarkozy, on est, virgule, une femme libre. Pas comme Ségolène Royal
qui a osé revendiquer la place de présidente de la République, qui a osé avoir
des convictions. Elle ? Une hystérique, une ayatollah.
La misogynie avec laquelle la presse aura traité ces trois femmes, quoi qu'on
pense de chacune d'elle, reste le meilleur symptôme d'une régression
insidieuse. Même Carla Bruni, au fond, aura payé cher sa « liberté »
taxée de « dévoreuse » ou de « croqueuse d'hommes » tout
simplement parce qu'elle aurait eu plus d'amants que, disons, nos grand-mères.
Un homme aurait-il été traité de la même façon ? Pas sûr. C'est pourquoi
le centenaire de la naissance de Simone de
Beauvoir a quelque chose de salutaire. Qu'est-ce qu'une femme libre ?
Il suffit de lire la biographie que lui consacre Danièle Sallenave,
magnifiquement intitulée Castor de guerre (Gallimard), pour le
comprendre : une femme de combats, intimes autant que politiques,
c'est-à-dire de convictions, qui n'a pas eu peur de penser, de s'engager, de
prendre la parole, d'avoir une vocation, de revendiquer haut et fort qu'elle ne
se marierait dès lors pas, n'aurait pas d'enfants...
Pourtant, aujourd'hui encore, certains le vivent mal. Écoutez-les : ils
n'en finissent pas de souligner ses paradoxes comme s'il s'agissait
d'hypocrisies - comme si la liberté, c'était facile, qu'on soit un homme ou une
femme, comme si faire des choix, c'était ne jamais prendre le risque de se
planter. D'autres ont eu besoin de publier une photo d'elle à poil et de
montrer son
cul.
La photo était certes belle. Mais aurait-on montre les fesses d'un intellectuel
pour prouver qu'il est aussi un homme, et pas seulement un penseur
frigide ? Les femmes qui pensent ont donc aussi un sexe ? Une bien
surprenante nouvelle...
Nelly Kapriélian, « Une femme libre ? » (Inrocks, 633, 15
janvier 2008, p. 69)