la meilleure des polices
Par cgat le mardi 29 mai 2007, 01:15 - citations - Lien permanent
Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail – on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir -, qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu'il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité ; et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme une divinité suprême.
Friedrich Nietzsche, Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux, 1881, § 173
Commentaires
Ça donne envie d'aller se coucher !
et comme depuis son époque le travail, en occident du moins, est devenu moins physiquement astreignant et fait même appel à une pensée, pour remplacer son rôle de garde-en-place on a inventé la télévision
excellent ce texte de N ! cela donne envie de m'y replonger ! Longtemps que je ne l'ai pas fréquenté. Le travail de la pensée nous épuise aussi, et brise la rêverie, si propice à toutes sortes de perturbations.
ça donne surtout envie d'abonder... Tiens, le même note aussi dans Le Gai Savoir qu'un " vice propre au Nouveau Monde ( ! ), la course effrénée au travail, commence par contagion à toucher la vieille Europe et à répandre sur elle une absence d'esprit stupéfiante ". A propos du travail, " une des idoles survivant à la mort de Dieu ", il ajoute aussi dans Aurore (1) qui est effectivement une mine anti-sarkozienne : " Êtes-vous complice de la folie actuelle des nations qui ne pensent qu’à produire le plus possible et à s’enrichir le plus possible ? La belle affaire ! le salaire est l’arme moderne de " l’esclavage ". Fi ! À supposer que vous ne ressentiez comme une honte d’être utilisé en tant que rouage d’une machine ! Fi ! croire que vous pourriez remédier, par un salaire plus élevé, à l’essentiel de votre détresse, je veux parler de votre asservissement ! " (1) euh, ces citations ne sont peut-être pas tout à fait dans l’ordre, je les ai notées il y a longtemps en vrac...
il y a beaucoup de textes très intéressants de Nietzsche sur le travail - et qui résonnent tellement juste aujourd'hui !
moi aussi j'ai plein de citations en vrac dans mes tablettes, et je le relis plus méthodiquement depuis que j'ai découvert le très utile wiki vers lequel j'ai fait un lien ci-dessus :
http://zarathoustra.info/index.php?...
Merci pour le tuyau (virtuel) Quelle mine d'infos que votre blog !
merci à vous (et aux autres aussi!) JFP : je traverse actuellement (fatigue ? climat météo ? climat politique ?) une phase aquoiboniste où les encouragements à continuer sont extrêmement bienvenus !
Alors là, pas de panique. Presque quotidiennement consultant votre blog, y picorant infos, avant d'aller acheter (ou plutôt emprunter à la bibli, finances à sec obligent) tel ou tel ouvrage, je ne laisse pas forcément petits cailloux d'écriture marquant mon passage ici : comme tres surement tant d'autres. Non, non, pas d'autres lieux à ma connaissance, où l'on assiste à de tels vagabondages thématiques, étayés par extraits judicieux, bon sang, ce côté Benjamien : peut être son grand oeuvre eût-il d'ailleurs été un peu ceci : labyrinthique, livre fait de citations comme autant de lignes de fuite...
alors là ... vous me faites rougir (de plaisir) ! cela vaut la peine d'exprimer son découragement parfois pour obtenir de tels compliments : merci beaucoup ! c'est regonflée que je pars travailler (eh oui!) pour gagner des sous et acheter d'autres livres ...
Acheter des livres... : devenu terrible dilemme pour moi. Auparavant, argenté, j'en achetais des brassées (il y a, allez, avouons-le tous, quelque chose qui tient de la fatuité, et même d'autre chose de pas très net, de l'ordre de la rétention analo-pingresse, à vouloir se constituer, se garder pour soi, une bibliothèque personnelle - à moins qu'elle soit ouverte à tous les dons, prêts, vents, vraiment vivante, c'est-à-dire 'usée' en permanence). Or, pour y revenir, ces livres achetés par mesig dorment quasi-tous empoussiérés sur les rayons de ma bibliothèque-tombeau : gâchis terrible et même un peu honteux, car j'ai encore du mal à les donner ou les prêter, ces bouquins-fétiches! AUjourd'hui, devenu auteur un peu fauché, je les emprunte, mes livres-à-lire, quasi systématiquement à la bibliothèque municipale, caverne d'ali baba, trésor pour tous. Donc plus de gâchis. Je me sens d'ailleurs libéré de quelque chose, à emprunter, lire, et rendre le livre lu. Au point que j'hésite, aujourd'hui, à acheter. M'embarrasser. Me charger d'un livre. Franchement à quoi ça avance ? Mais si tout le monde fait ça... Adieu la littérature, non? Car après tout, si un auteur peut -doit?-à la rigueur renoncer à toute rémunération, il ne peut en être de même pour un éditeur...
vous avez sans doute raison ... en plus une partie des miens, de livres, sont dans des cartons en province ... mais la question finale demeure
Ah, ce Nietzsche, quel blogueur ça aurait fait !
c'est une remarque que je me fais régulièrement à propos des classiques : Nietzsche n'étant d'ailleurs pas forcément le meilleur exemple, mais Montaigne, Pessoa, Barthes, Woolf, Saint-Simon, Valéry, Constant, Kafka, Flaubert, La Bruyère, Hugo, Sévigné, Calvino, Pavese, Nerval, etc. etc. qu'est-ce que j'aimerais lire leurs blogs !
je frémis à l'idée d'un céline blogueur...
en effet ! mais cela aurait été intéressant, tout de même, non ?
Je ne pense pas. Je pense que ça serait terrible. Ma conviction: un écrivain pas fait pour ça. Je pense sincérement, mais j'hésite à écrire tout ça, car demanderait, pour convaincre un vrai long developpement justificatif, qu'un blog d'un romancier se corrompt immanquablement (même si son contenu est rédigé rigoureusement de la même manière qu'à son époque de quasi incognito !) à mesure que sa notorité (auteur et/ou blog) augmente. Atttttention : sauf si l'auteur en question decide de changer les regles du jeu (interdire les reponses par ex, non pas le lien internet, que l'on peut toujours retrouver sur le site, mais le lien-réponse immédiat, comme chez FB, ce qui modifie effectivement radicalement le sens des choses, pour lui, le lecteur et la fonction "blog", qui reste alors dans l'authenticité de son projet). Il y a ces questions de posture, de lieu d'où l'on parle, de quelque chose qui finit par se transformer en tribune, d'infatuation obligée d'un moi qui n'appartient plus à l'auteur et qui grossit comme un ballon, d'obligation, aussi de répondre et de recevoir blames et eloges venues de nulle part, et finalement d'im-posture - blog par la force des choses comme dévié de sa force, de son intention, de son projet premiers qui se posent là. Attention, je parle d'un blog de romancier, nous parlons bien de cela. Non pas celui d'un passionné de littérature, qui construit d'ailleurs en passant, sans ego férir, son propre oeuvre, celle au fond d'authentique critique litteraire, comme vous ou Patrick, posture beaucoup, beaucoup plus libre, suscitant des reactions plus vraies de la part des lecteurs...
terrible serait en effet la zone de commentaires du blog imaginaire de Céline ... mais il ne faut pas généraliser me semble-t-il : refuser les commentaires est respectable, mais il me semble que les accepter ne corromprait (le mot est fort) pas forcément un écrivain
quant on lit la correspondance de Proust, par exemple, on est dans un tout autre registre que celui de la Recherche, registre souvent léger, voire futile, geignard, voire un peu pathétique (tout cela dit sans critique : j'aime tout chez Proust!) : son oeuvre n'en est pas corrompue pour autant
(parenthèse : pour ma part je ne considère absolument pas ce blog comme une oeuvre littéraire, ni même critique, quant à mon ego, je le cherche !)
Vous avez raison. Je suis tjs un peu excessif ds mes jugmts. Reste que je deteste justement le cote geignard ou excessif de bien des journx ou correspondances d'auteurs (léautaud. Mais vrai qu'intéressant, souvent, par ex la correspondance de Flaubert, qui rend compte, entre autre, par contraste d'écriture, du colossal travail d'hypercorrection fourni dans ses romans (ah, s'il avait pu connaître le traitement de texte !...)
J'ai la suite de cet extrait que j'ai un peu de mal à comprendre. Pourriez vous m'éclairez?
"Le « travailleur », justement, est devenu dangereux! Le monde fourmille d’« individus dangereux»! Et derrière eux, le danger des dangers - l’individuum!" Je ne comprend pas ce que Nietzsche entend par dangereux.
"Il y a ces questions de posture, de lieu d'où l'on parle, de quelque chose qui finit par se transformer en tribune, d'infatuation obligée d'un moi qui n'appartient plus à l'auteur et qui grossit comme un ballon, d'obligation, aussi de répondre et de recevoir blames et eloges venues de nulle part,"
Sans compter que le moi n'est déjà pas petit au départ... j'ai tendance à penser comme JF Paillard: l'oeuvre ou l'artiste, il faut choisir. Exposer les deux oblige à gérer trop d'interactions contradictoires. Comment écrire un blog sans chercher à "plaire" (à séduire, à mettre en palce une relation, à prendre en compte les rq, ne serait-ce que pour les rejeter), que vaut une oeuvre qui a pour unique préoccupation plaire?