21 mai 2006

notre essence de verre

Jean-Claude Carrière vient de publier un essai intitulé Fragilité (Odile Jacob, 2006) : son approche est un peu trop historique à mon goût et je ne suis pas forcément d'accord avec sa manière d'envisager le futur de l'humanité, mais son point de départ me semble très juste : en dépit du fait que l'essentiel de ses actes, de ses comportements et même de ses pensées ont pour unique objet de nier cette fragilité, l'humain est d'abord et avant tout fragile : « Nous venons au monde avec l’étiquette « fragile ». Un rien nous blesse et même nous tue. » (p. 9).

Le livre commence ainsi :
J'ai pris un mot, « fragilité » et je l'ai suivi. Je l’ai suivi là où il voulait bien me mener. Il a été pour moi comme un bâton d’aveugle, ou comme une clé, un de ces passe-partout qui permettent d’entrer dans toutes les chambres d’un hôtel.
J'ai découvert que ce mot - et la chose qu’il recouvre - permet en effet de pénétrer, comme par effraction, dans plusieurs territoires de notre comportement, dans nos réduits et même parfois dans nos caves.
[…]
Chemin faisant, j'ai rencontré quelques ancêtres qui avaient fait le chemin avant moi, Shakespeare et Dostoïevski bien sûr, ainsi que les auteurs inconnus du Mahâbhârata indien, mais aussi quelques-uns de chez nous, Corneille, Chateaubriand, Balzac. […]
Ils m'ont appris qu'un personnage ne peut nous toucher, et toucher les autres, que lorsque nous avons trouvé en lui cette « essence de verre » dont parle Shakespeare et que nous appelons « vulnérabilité ». Alors notre fragilité, loin d'être une simple faiblesse, devient le moteur de toute expression, de toute émotion et, souvent, de toute beauté. (p. 7-8)

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