18 mai 2006

unicellulaire microscopique



Quand je ne souffre pas, me trouvant entre deux périodes de souffrance, je vis comme si je ne vivais pas. Loin d'être un individu chargé d'os, de muscles, de chair, d'organes, de mémoire, de desseins, je me croirais volontiers, tant mon sentiment de vie est faible et indéterminé, un unicellulaire microscopique, pendu à un fil et voguant à la dérive entre ciel et terre, dans un espace incirconscrit, poussé par des vents, et encore, pas nettement.

Henri Michaux, « Entre ciel et terre », La Vie dans les plis

17 mai 2006

anéantissante fatigue

L'extrême et anéantissante fatigue où m'amène assez vite toute activité et tout exercice, me retire assez considérablement du monde familier.
Ce retirement devient une habitude. Retirement de soi hors des choses. Retirement des choses hors des autres choses l'entourant. Soustraction qui revient parfois à de l'analyse, quoique à cent lieues de l'être. Le cadre part et la chose, sans solennité, même avec une rigoureuse simplicité, fait bande à part, existe.
Cette impression est ineffable, on aurait envie de dire divine, tant elle éloigne des commandements que l'homme se donne d'habitude.
Ce détachement, surtout peut-être par l'évanouissement concomitant de toute ambition, volonté, de tout dessein à l'endroit des choses, aère et désintègre.
Tous les phénomènes médiumniques ont ce même abandon pour point de départ, mais plus parfaits, ils vont plus loin.


Henri Michaux, « Idées de traverse », Passages

16 mai 2006

approfondissante absence



Tu veux apprendre ce qu'est ton être? Décroche. Retire-toi en ton dedans. Tu apprendras tout seul ce qui est capital pour toi, car il n'est pas de gourou pour ce savoir que toutefois un enfant de cinq ou même de quatre ans peut de lui-même apprendre et pratiquer s'il en sent le besoin à la barbe des grands indésirables, tenace et approfondissante absence.

Henri Michaux, Poteaux d'angle

15 mai 2006

abîmes de nescience

Après quelque temps, toujours le « penser » s’arrête. Écrit, c’est ce qu’on appellera une pensée.
C’est pourtant alors qu’il faudrait qu’elle soit continuée, mais il n’y a plus prise. Des abîmes de nescience la bordent, la précèdent, la suivent. D’inextricables contradictions, d’insurmontables incertitudes, enfin une impuissance totale. Si l’on insiste, des abîmes de rien. Des univers-rien. Il n’y a pas de pensée qui, continuée, n’aille ailleurs qu’à « rien ». Alors à bout, incapable, comme craie noire sur un tableau noir, elle ne peut rien rendre, rien faire. L’univers impensé se défend. Encore très, très, très peu de ce qui est, est pensable.


Henri Michaux, « Notes au lieu d’actes », Passages

14 mai 2006

prendre en traître



La conscience, il faut avoir pris une drogue, pour savoir comme c'est peu, comme c'est rare, comme c'est facultatif, comme c'est peu indiqué, comme ça se met en travers, comme c'est peu « nous » et encore moins notre bien, conscient qui nous lie les mains, qu'il faut savoir dépasser, pour une conscience seconde, conscient tantôt à endormir à contre-temps, tantôt à réveiller à contretemps, conscient qu'il faut apprendre à lâcher, quand il se montre et à ranimer quand il disparaît, que surtout dans les états exceptionnels des états parapsychiques ou presque miraculeux, il ne faut pas laisser disparaître, à moins que de se contenter là-dessus du savoir d'hommes sans doute extraordinaires mais aux idées préconçues, préreçues, prédirigées ; conscient enfin qui laisse échapper à peu près tous les mécanismes du mental normal, pourtant singuliers, extraordinaires, méconnus, que (si on tient à les détecter) il va donc falloir prendre en traître, et avec l'artillerie qui convient.

Henri Michaux, Connaissance par les gouffres

13 mai 2006

bancs d'idées

Sans doute je me le disais autrefois, mais (est-ce la neurasthénie de guerre?) il me semble de plus en plus indubitablement sentir la ténuité de ces ruisselets grâce auxquels s'allument mes pensées vagues, si vite exténuées, en mon laboratoire poupin enfermé dans mon crâne.
[...]
Pourtant, c'est dans le moins de force que m'apparaissent toujours les idées les plus vastes, les plus importantes. De véritables bancs d'idées, nombreux à en avoir la respiration coupée, mais d'un délicat, d'un flou, d'un tel en deçà des mots-pensées ! Fugitifs fantômes desquels ne subsiste autant dire que l'impression de savoir, ou plutôt d'avoir su, de quelle vraie façon souterraine les choses se tiennent réellement.

Henri Michaux, « Idées de traverse », Passages

12 mai 2006

ne plus savoir penser

Comme le corps (ses organes et ses fonctions) a été connu principalement et dévoilé, non par les prouesses des forts, mais par les troubles des faibles, des malades, des infirmes, des blessés (la santé étant silencieuse et source de cette impression immensément erronée que tout va de soi), ce sont les perturbations de l'esprit, ses dysfonctionnements qui seront mes enseignants. Plus que le trop excellent « savoir-penser » des métaphysiciens, ce sont les démences, les arriérations, les délires, les extases, les agonies, le « ne-plus-savoir-penser », qui véritablement sont appelés à « nous découvrir ».

Henri Michaux, Les Grandes Épreuves de l'esprit et les innombrables petites

11 mai 2006

une zone d'ombre



L’examen de la pensée fausse la pensée comme, en microphysique, l'observation de la lumière (du trajet du photon) la fausse. Tout progrès, toute nouvelle observation, toute pensée, toute création, semble créer (avec une lumière) une zone d'ombre.

Henri Michaux, Postface de Plume

10 mai 2006

c'est nager qu'elle fait

L'âme adore nager.
Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va en nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes c'est ce que j'établirai plus tard.)
On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.
Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.
L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle à lui, et si ce fil se rompait (il est parfois très ténu, mais c'est une force effroyable qu'il faudrait pour rompre le fil), ce serait terrible pour eux (pour elle et pour lui).
Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l'homme à l'âme s'écoulent des volumes et des volumes d'une sorte de matière spirituelle, comme de la boue, comme du mercure, ou comme un gaz - jouissance sans fin.
C'est pourquoi le paresseux est indécrottable. Il ne changera jamais. C'est pourquoi aussi la paresse est la mère de tous les vices. Car qu'est-ce qui est plus égoïste que la paresse ?
Elle a des fondements que l'orgueil n'a pas.
Mais les gens s'acharnent sur les paresseux.
Tandis qu'ils sont couchés, on les frappe, on leur jette de l'eau fraîche sur la tête, ils doivent vivement ramener leur âme. Ils vous regardent alors avec ce regard de haine, que l'on connaît bien, et qui se voit surtout chez les enfants.


Henri Michaux, « La Paresse », Mes propriétés (La Nuit remue)

09 mai 2006

quelques jours de pause


s'imposent.

Pour patienter, quelques citations d'Henri Michaux sur la conscience, en commençant par une formule que ne renierait pas la sémantique générale :

Même si c’est vrai c’est faux.
« Tranches de savoir », Face aux verrous